Pourquoi le fait de travailler de chez soi expose à des risques de comportements addictifs ?
Corinne Dano : D’abord à cause du sentiment d’isolement par rapport aux collègues. À cause aussi de l’absence du cadre professionnel qui permet de gérer les horaires et le stress, et qui peut entraîner une confusion dans la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Sans oublier que chez soi, on a tout ce qu'il faut à disposition : l’accessibilité des produits est beaucoup plus facile. On peut, en même temps qu'on travaille sur écran, boire un verre, voire fumer une cigarette ou je ne sais quoi.
Quelles sont les addictions en lien avec le télétravail ?
CD : Les conduites addictives qui pourraient être favorisées par le télétravail, dans le contexte du confinement qu’on a tous connu, sont toutes les substances qui sont à disposition : alcool, tabac, cannabis… et bien évidemment le travail sur écran. Avec la difficulté particulière de s'arrêter et de limiter ses horaires. On peut aussi penser aux anxiolytiques qui ont augmenté de manière conséquente, environ 20 %, pendant cette période de confinement.
Au fond, c'est quoi une addiction et est-elle considérée comme une maladie ?
CD : Oui, une addiction est bien considérée comme une maladie. Cela correspond au fait de basculer dans le « toujours plus » avec une perte de contrôle, de penser qu'il nous en faut de plus en plus et de plus en plus souvent avec des dommages sur la santé, des dommages personnels et des dommages professionnels. Car il ne faut pas négliger les dommages professionnels qui peuvent se traduire par des retards, des absences répétées, des difficultés relationnelles avec l'équipe, mais aussi une perte d’efficience ou une diminution de l’attention.
À quel moment peut-on se dire : là, je suis addict et il faut que je réagisse… Parce qu'on est souvent dans le déni, non ?
CD : Oui, on est très souvent dans le déni, d’autant plus que c'est quelque chose dont on a rapidement honte, que l'on va faire en cachette et dont on aura du mal à parler avec son entourage. On y pense souvent et de plus en plus.
Par exemple, après une journée de travail dans sa voiture, on a déjà un petit signal dans sa tête qui nous dit « Tiens, tout à l'heure, tu auras droit à ton petit soulagement ! ». On ne peut pas s'empêcher de le faire alors qu'on sait très bien que ça nous fait du mal, que ça fait aussi du mal à notre entourage et à notre travail. Finalement, on finit par négliger ce qui caractérise notre vie habituelle.
Quels sont les outils de prévention à disposition de l’entreprise ?
CD : Il faut faire en sorte que la parole circule, que la question des conduites addictives ne soit pas réservée au domaine privé, mais qu'on puisse en parler dans le milieu professionnel. En effet, quand le travail se passe bien, il est majoritairement protecteur vis-à-vis des conduites addictives. Cela signifie que les employeurs doivent s'impliquer dans cette démarche et que les partenaires sociaux doivent être associés à la discussion.
Il faut également éviter de dissocier la question des conduites addictives des autres enjeux de santé au travail, comme par exemple les risques psychosociaux. Enfin, il est important de bien prendre en compte au sein de chaque entreprise les facteurs susceptibles de favoriser les conduites addictives pour pouvoir les inscrire, par exemple, dans le document unique des risques professionnels et les aborder dans le règlement intérieur.
Quel est le rôle des managers pour prévenir, lutter et soigner les addictions ?
CD : Ce qui est important, c'est que les managers disposent d’outils et qu’ils se les approprient, comme le portail Addict’AIDE Pro par exemple qui est un portail spécifique des conduites addictives. L’idée est qu’ils puissent repérer les troubles du comportement, les comportements inhabituels ou les situations à risque afin d’être en mesure d’alerter… même s’il n’est pas facile d’alerter son encadrement ou sa hiérarchie, sans avoir l'impression qu'on va « balancer » le salarié. Tout cela passe malgré tout par une dédramatisation de la situation et surtout par de la formation via des prestataires extérieurs. Le service de santé au travail peut aussi proposer un certain nombre de formations, d’informations et d’outils de sensibilisation.