Selon le baromètre d'OpinionWay de mars dernier pour votre cabinet, 1 salarié sur 2 serait en détresse psychologique. Pourquoi la santé mentale et physique des travailleurs reste-t-elle si fragile ?
Christophe Nguyen : Une des raisons est évidemment l’héritage de la crise sanitaire. Il y a aujourd'hui 3 fois plus de burn-out sévères qu’avant la crise sanitaire, avec aussi une forme de persistance due la crise économique et à l’instabilité internationale que nous traversons. Mais il n'y a pas de fatalité à cela car certaines entreprises s’en sortent mieux que d'autres, avec des indicateurs de santé bien meilleurs. Des pays aussi, comme le Québec par exemple, parce qu’on y a développé une certaine culture de la prévention. Ce qui n’est pas le cas dans nos organisations aujourd'hui. Il faut donc faire face à un double mouvement avec de nouvelles attentes des salariés, la question de la santé au travail devenant prépondérante, et des conditions de travail qui sont devenues plus difficiles. Comme le considèrent 7 salariés sur 10.
Une des raisons de la perte du sens au travail et de la détresse psychologique des salariés serait le manque de clarté des consignes reçues ?
CG : Il faut regarder la notion de sens au travail, et notamment des consignes contradictoires, à différents niveaux :
- D'abord de l'utilité. Lorsque mon manager me demande de faire quelque chose, est-ce nécessaire et cohérent avec la stratégie de l’entreprise ? Sans oublier les contradictions, si un manager me dit d'aller à droite… et un autre à gauche.
- Il y a aussi la continuité. On parle de plus en plus de la notion de travail « bousculé » avec des demandes hachées ou les fameux stop-and-go. Y a-t-il vraiment des changements perpétuels dans l'organisation qui font que, ce qui était vrai un jour ne le serait plus le lendemain ?
- Et puis on a des injonctions qu’on appelle contradictoires. Il s’agit des intentions affichées avec la volonté de faire respecter des process à la lettre. Tout cela laisse peu de liberté aux salariés.
- Dernière dimension : est-ce que je me reconnais dans le travail que je fais ? On est ici dans la cohérence des valeurs : valeurs personnelles et valeurs du travail qu’on me demande de faire. Dans nos baromètres, 6 à 7 salariés sur 10 avouent faire de moins en moins ce qu'elles aiment faire au travail, à cause des process ou des réunions qui leur paraissent inutiles.
Comment réduire les process pour avoir des consignes plus cohérentes et plus compréhensible pour les salariés ?
CG : Pour réduire les process, je pense qu’il est nécessaire de faire plus confiance aux personnes. Cela sous-entend un autre suivi de l'activité du travail, pas uniquement basé sur le reporting mais avec plus de proximité du management. Il est également essentiel de réduire les circuits de décision et les multiples réunions. Aujourd'hui, on parle beaucoup de « l’entreprise libérée » et du travail agile par exemple. Cela montre la volonté de s'écarter de ces lourdeurs pour gagner en sens et en efficacité.
Si on ne comprend pas ce que l'on fait, on ne peut pas donner du sens à sa mission. Comment impulser de la cohérence ?
CG : Par l'écoute. Il faut créer un climat de sécurité psychologique où l’on peut se permettre d’échanger, de partager, voire de s’opposer de façon respectueuse. C’est un véritable enjeu pour les entreprises parce que derrière des consignes contradictoires ou perçues comme tel, il y a toujours de la non-performance mais surtout des problèmes de santé qui peuvent apparaitre à moyen et long terme. L’idée n’est pas de demander de temps en temps si les salariés trouvent du sens dans ce qu'ils font, mais plutôt d’essayer de comprendre quels sont les déterminants qui impactent ce besoin de cohérence et de sens au travail.
Cela passe par la reconnaissance au travail au sens large, c’est-à-dire les besoins d'équilibre de vie au-delà de l’aspect strictement financier. La question de l'autonomie est également primordiale avec le sentiment de faire un travail de qualité. Je pense que c'est finalement central dans la résolution des incohérences ou des consignes qui sont contradictoires entre elles.
Quelles actions proposez-vous à l'entreprise pour que les salariés aient le sentiment de comprendre leur tâche ?
CG : Il faut travailler sur une politique de qualité de vie au travail qui prenne en compte tous ces sujets afin que ce soit stratégique et mobilisateur, et pas juste un affichage pour attirer les talents.